http://www.lesechos.fr/digital/ARCHIVES/PDF_20080520_LEC/docslib/articlepdf.htm?article=../article/4728589.pdf?journee=PDF_20080520_LEC
INTERVIEW
PHILIPPE CHALMIN PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE
Matières premières : « un choc comparable à celui des années 1970 »
Infatigable ambassadeur de la
problématiquedesressourcesnaturelles,
PhilippeChalmin,professeur
à l’université Paris-Dauphine, où il
est directeur du master affaires internationales,
livre aujourd’hui à la
presse l’édition 2008, la 22e, du fameuxrapportCyclOpesur
lesmarchés
mondiaux, essentiellement
consacré à ceux des matières premières.
Selon Philippe Chalmin, la
flambée des prix des ressources
naturelles estdurable.Elle rappelle
celle qui a suivi l’abandon de la
convertibilité du dollar décidé unilatéralement
par les Etats-Unis le
15 août 1971 suivi, le 19mars 1973,
par l’instauration du système des
changes flottants.
Sommes-nous enfin arrivés au
terme du long cycle haussier des
matières premières ?
Pas du tout. Nous sommes aujourd’hui
au coeur de la flambée des
cours des ressources naturelles. Il
s’agit du mouvement haussier le
plus important depuis les années
1970. En prix courants, et
souventmême enprix constants, la
plupart de ces produits ont établi
des nouveaux records. La crise est
loin d’être finie. Les marchés véhiculent
aujourd’hui un message on
ne peut plus clair : nous sommes
entrés dans une époque marquée
par une double pénurie, à la fois
énergétique et alimentaire.
Pouvez-vous préciser les termes de
l’analogie avec les années 1970 ?
La forte volatilité actuelle des prix
des matières premières assortie à
un long mouvement ascensionnel
s’apparente à celle qui a suivi l’enterrement,
en août 1971, des accords
de Bretton Woods qui
avaient fixé, le 22 juillet 1944, les
grandes lignes du système financier
mondial de l’après-guerre. La cessation
de toute convertibilité du
billetverten1971arenforcél’attrait
pour les ressources naturelles
conçuesalors commeunplacement
de protection contre l’inflation et le
désordre monétaire. Il faut garder
enmémoire qu’à l’époque les seuls
dérivés financiers étaient les matières
premières.
Le choc présent desmatières premières
est-il d’origine purement
spéculative ?
Non. La spéculation n’est que
l’écume sur la vague. Elle correspond
à la reconnaissance par les
investisseurs de l’émergence
d’une nouvelle classe d’actifs à
part entière. Mais le fondement
de la hausse des cours doit être
recherchéducôtédes termes réels
des différents marchés des ressources
naturelles. Aujourd’hui
comme au débutdes années 1970,
on s’interroge sur les réserves disponibles.
En 1972, des experts du
Massachusetts Institute of Technology
ouMIT avaient rédigé un
rapport pour leClubdeRome qui
avait fait beaucoup de bruit, intitulé
« Halte à la croissance ». Ils y
soutenaient la thèse que les ressources
naturelles, pétrole, métaux
et produits agricoles confondus,
allaient bientôt être
insuffisantes pour accompagner
la croissance mondiale. Ce débat
existe presque dans les mêmes
termes ces temps-ci.
Lesmatières premières redeviennent
une entrave à la croissance
mondiale ?
La hausse des prix des ressources
naturelles n’arrange pas les
choses. Toutefois, il ne faut pas
oublier qu’elles ont apportébeaucoup
de richesses aux pays producteurs.
La théorie du découplage
du cycle économique
mondial en a reçu un beau soutien.
Puis ilne faut pas en exagérer
l’impact inflationniste, qui reste,
somme toute, tolérable. Qui eut
dit que l’économiemondiale n’allait
pas s’effondrer avec le baril de
pétrole à 120 dollars ? Pourtant,
c’est bien cela qui est en passe de
se produire. En dépit de la plus
grave crise de confiance sur les
marchés financiers depuis 1929,
grâce notamment à l’excellente
maîtrise de la situation dont ont
fait preuve les banques centrales,
l’économie globale montre des
capacités insoupçonnables de résistance.
Le scénario de stagflation
des années 1970 n’apparaît
pas comme le plus probable à ce
stade, en raison surtout de la
faible élasticité de la demande
dont les matières premières sont
une composante essentielle.
Tout va bien dans le meilleur des
mondes ?
Certainement pas. Force est de
constater que la concertation internationale
reste largement insuffisante.
Le processus deDoha,
censé libéraliser le commerce international,
est en panne. Et les
Etats-Unisviennent de luidonner
le coup de grâce. Les émeutes de
la faim, qu’il faudrait appeler plutôt
émeutes de la pauvreté, mettent
en évidence les nombreux
déséquilibres mondiaux que les
organisations internationales, à
l’imagede la FAO, sont bien incapables
de traiter.
En conclusion, quelle est votre
prévision pour les mois à venir ?
De nouveaux accès de fièvre du
pétrole sontpossiblesavec unbaril
quipourrait flirteravec les150dollars
si la saison des cyclones aux
Etats-Unis semontre sévère.Dans
le cas contraire, il faut s’attendre à
une certaine détente des prix de
l’or noir à l’automne. Les métaux
vont rester à des hauts niveaux de
cours. Les nouvelles mines sont
rares. La puissante concentration
en cours de l’industrie minière
mondiale ne modifie pas cette
donne essentielle. Quant aux produits
agricoles, les véritables vedettesdudébut2008,
ilspourraient
à leur tour reculer plus tard dans
l’année si les anticipations de récolte
2008-2009 exceptionnelle se
confirment.Mais les corrections à
venir n’interrompront pas le cycle
haussier.
PROPOS RECUEILLIS PAR M. P.
Rappo rt CyclOpe 2008,
disponible en librairie dès la fin de
la semaine, éditions Economica,
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