dimanche 25 mai 2008

Urgo, I’Astérix du sparadrap, chaque salarié peut devenir chef de projet pendant un an.

Urgo, I’Astérix du sparadrap, chaque salarié peut devenir chef de projet pendant un an.

L’entreprise dijonnaise, spécialiste du pansement, résiste brillamment aux multinationales du secteur. Sa potion magique? Un budget recherche costaud.

D’un geste vif l’homme en blouse blanche et aux cheveux en brosse saisit une boule molle et transparente — du polymère, dit-il — et la jette sur le sol du labo. Surprise: celle-ci s’étale pour former une couche fine et invisible. «L’idée, c’est de reproduire ce phénomène pour colmater les plaies», explique Laurent Apert, 44 ans, directeur du centre de recherche d’Urgo, à Chenôve, près de Dijon. Au bout du couloir, il salue un collaborateur en bermuda dont les mollets sont entièrement recouverts de bandelettes. «Nous testons toutes nos inventions en interne. Sur des volontaires», précise le chercheur. Objectif: découvrir le plus vite possible les améliorations à apporter aux nouveaux produits. Et se donner ainsi la chance de les lancer avant les concurrents.
Grâce à sa créativité et à ses salariés qui n’hésitent pas à payer de leur personne, Urgo est devenu, chez nous, numéro 1 du pansement. L’entreprise, ainsi nommée en référence à «urgence», détient 24% du marché français, loin devant les deux leaders mondiaux du secteur, l’américain Tricosteril et l’allemand Hansaplast. Son chiffre d’affaires a progressé de 59% en cinq ans pour atteindre
249 millions d’euros en 2007. Quant à sa rentabilité, elle reste secrète mais il se dit, dans le métier, qu’elle est très confortable. Un indice: les 1200 salariés ont touché l’an passé l’équivalent de deux mois et demi de salaire au titre de la participation aux bénéfices.
Le secret d’Urgo? Son positionnement haut de gamme. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, il y a pansement et pansement. Ceux d’Urgo ne sont vendus qu’en pharmacie, parfois même uniquement sur prescription médicale. Et certains parmi eux, très techniques, sont conçus pour des usages spécifiques.
En 1958, Urgo inventait déjà le pansement à trous microscopiques
Il y a le multiextensible, qui s’adapte aux mouvements des articulations. Le résistant, utilisable «en conditions difficiles». L’antibactérien qui lutte contre
prolifération des germes. Le discret, transparent, pour les coquets. L’étanche pour la piscine ou la douche. Ou encore le modèle à décorer avec des gommettes (ravissant, mais déconseillé au bureau).
L’innovation, Urgo l’a dans la peau depuis sa création en 1958. Jean Le Lous, le fondateur de la société, fut en effet l’inventeur du pansement percé de trous microscopiques — pour laisser respirer la plaie — à l’origine du slogan «Y a de l’Urgo dans l’air. . .». Son fils, Hervé Le Lous, 58 ans, diplômé de Normale sup biologie et de deux prestigieuses universités américaines, Wharton et Stanford, avait le profil idéal pour intégrer l’entreprise familiale. Mais il a préféré faire ses preuves par lui-même. En 1987, cet ancien professeur de gestion à l’Essec a donc créé Juva Santé, qui est devenue en quinze ans le numéro 1 tricolore des vitamines vendues en supermarchés, avec Juvamine. Mais aussi le numéro 3 des sparadraps, avec la marque Mercurochrome, commercialisée également en grande distribution. Le fils devenant le concurrent du père, l’affaire tournait au drame oedipien. A la mort du patriarche, en 2002, les quatre enfants Le Lous ont hérité d’Urgo ainsi que de sa filiale Humex, spécialisée dans les affections respiratoires. Rapidement, des dissensions sont apparues entre Hervé, qui souhaitait réinvestir les bénéfices dans l’entreprise, et ses trois soeurs, qui préféraient toucher un maximum de dividendes. Un an plus tard, elles ont choisi de vendre leurs parts à leur frère.
Désormais aux manettes de Juva Santé et d’Urgo, Hervé Le Lous aurait pu fusionner les deux entités. Par crainte de se mettre à dos les pharmaciens (qui détestent retrouver au supermarché les marques qu’ils proposent dans leurs officines), il a, au contraire, maintenu leur totale autonomie. Chacune a son comité de direction, son service de recherche, ses usines. Et sa propre stratégie. A Juva Santé, le monde de la parapharmacie en grandes et moyennes surfaces avec les marques Mercurochrome, Juvamine mais aussi Intimy (préservatifs, gels et sex toys) ou Marie Rose (produits antipoux). A Urgo, l’univers de la pharmacie où le potentiel de croissance est le plus élevé, en particulier dans le domaine des compresses techniques, celles que les médecins prescrivent pour soigner ulcères, escarres, brûlures et plaies postopératoires. Un marché très rentable (les prix y sont de 15 à 45 fois supérieurs à ceux des premiers soins, et les marges à l’avenant), mais d’un accès difficile. «Aux yeux des médecins, un fabricant de sparadrap n’était pas capable de concevoir autre chose», explique le volubile directeur de la branche Medical, Damien Peras.
Pour leur prouver le contraire, Hervé Le Lous a doublé le budget recherche, passé à 10 millions d’euros en 2007. En parallèle, ses équipes ont questionné 15 000 infirmières, médecins et malades sur leurs besoins. Du jamais-vu, à cette échelle, dans le métier. Afin d’asseoir sa réputation, l’entreprise a également investi plusieurs millions d’euros dans des tests cliniques destinés à valider scientifiquement l’efficacité de ses produits. Résultat de tous ces efforts: la gamme professionnelle a connu une croissance fulgurante et représente désormais plus de la moitié du chiffre d’affaires. Le traitement de choc a eu des effets secondaires qui ont profité aux produits grand public. Exemple: Urgo Brûlures, pour les petits bobos domestiques, est le dérivé d’un pansement pour les grands brûlés. Sur les 28 produits lancés cette année, la moitié vient de la recherche pure. Les autres résultent d’un brainstorming d’inspiration plus marketing. La direction a mis en place un dispositif original qui permet à chaque salarié volontaire de devenir chef de projet innovation pendant un an. En 2006, une contrôleuse de gestion a ainsi reçu pour mission de s’attaquer au concurrent Compeed, le leader des pansements antiampoules. «Elle a découvert que ce fabricant ne s’adressait qu’aux sportifs, raconte le directeur général, Pierre Moustial. Il restait des niches à exploiter, notamment celle des femmes que leurs chaussures neuves font souffrir.» L’apprentie chef de projet a conçu un produit spécifique (lire encadré) qui a pris 2 points de part de marché en six mois.
Depuis qu’il dirige Urgo, Hervé Le Lous a également doublé le nombre de commerciaux. Ses 100 VRP visitent au moins une fois par trimestre les 18 000 pharmacies françaises les plus importantes (soit 82% des officines). La force de vente d’Urgo en France est deux fois plus importante que celle de ses concurrents. C’est aussi la seule qui soit formée au merchandising afin de refaire les rayons pansements des officines.., en n’oubliant pas de pousser les autres marques sur les côtés.
Maître sur son territoire, le français veut maintenant égratigner ses concurrents à l’étranger. En cinq ans, il s’est hissé au premier rang du marché de la cicatrisation en Aflemagne et au quatrième en Angleterre. L’an passé, la marque au petit infirmier (le logo le représente accourant à notre secours) a racheté un labo espagnol et signé un accord avec le groupe de Chicago, Hollister. A cette occasion, les dirigeants d’Urgo ont eu la satisfaction de découvrir que cinq entreprises locales se bousculaient pour commercialiser leurs produits outre-Atlantique. On savait que nos French doctors étaient célèbres à l’étranger. Apparemment, le contenu de leurs trousses aussi.
Caroline Michel•

Source : Capital Avril 2008

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