mardi 8 juillet 2008

La supraconductivité sort du laboratoire

http://www.lesechos.fr/digital/ARCHIVES/PDF_20080708_LEC/docslib/articlepdf.htm?article=../article/4748234.pdf?journee=PDF_20080708_LEC

La supraconductivité sort du laboratoire

Le plus long câble électrique supraconducteur dumonde vient d’êtremis en service aux Etats-Unis près de New York.
ela fait vingt et un ans que
l’on C attendait ça. » GregYu- rek ne cache pas sa joie. Le
président d’American SuperconductorCorporation(
AMSC) voit sa
persévérance enfin récompensée.
Pourcetancienprofesseurdudépartement
matériaux du MIT (*), la
mise enservicedu plus longcâblede
transport d’électricité supraconducteur
du monde est une étape majeure
pourune technologiesortant à
peine du laboratoire. L’installation
inaugurée récemment à
Long Island près de New
York (lire «Les Echos »
du 26 juin) est en fait un
démonstrateur grandeur
nature destiné à prouver
la faisabilité de cette solution.
Leprincipeest relativement
simple. Un
conducteur refroidi sous
une température critique
n’oppose plus aucune résistance
au passage du
courant électrique.Résultat
: plus d’échauffement
ni de pertes (lire encadré
ci-contre).
Soutien officiel
Enpratique, il s’agitd’une
véritableusineàgazréservée
à des usages ou des
conditions environnementales
très spécifiques.
Essentiellement, pour
transporter de fortes densitésdecourantpardescâbles
souterrains, dans des zones très urbanisées,
là où le terrain est rare et
cher. Aux Etats-Unis, cette
contrainte se double d’un autre problème
: lavétustéduréseaudedistribution
électrique régulièrement affecté
par de spectaculaires pannes
(blackouts) qui privent de courant
delarges zonesdupays.Depuis cinq
ans, laLongIslandPowerAuthority
(LIPA), qui distribue le courant
dans l’île proche deNewYork, s’intéresse
à toutes les techniques de
rajeunissement du réseau.Objectif :
améliorer une situation critique en
été, quand les climatiseurs fonctionnent
à plein régime. «Nous connaissons
une véritable crise de l’énergie
danscepays etnotre réseauélectrique
est très ancien. La supraconductivité
est un pas dans la bonne direction »,
indique Kevin S. Law, président de
la LIPA.
Ce projet a reçu le soutienmassif
dudépartementde l’Energie (DoE)
américain (27,5 millions de dollars
sur un total de 58,5 millions de dollars).
Sans aucune gêne, les responsablesduprojet
sefélicitentouvertement
de l’apport de ces fonds
publics, alors qu’ils ne se privent
jamais de dénoncer ces pratiques
quand elles ont lieu dans un autre
pays. Les motivations du DoE sont
doubles.Ils’agitd’aborddemaîtriser
une technologie considérée comme
stratégique pour l’avenir énergétiquedupays.
Parallèlement,onsoutient
un champion national par le
biais de commandes publiques.
AMSC est un des rares spécialistes
mondiaux capable de produire des
matériaux supraconducteurs dans
des conditions industrielles. « Les
supraconducteurs à haute température
arrivent sur le marché et nous
devons conserver notre leadership
danscedomaine »,confirmePatricia
Hoffman, en charge des problèmes
de distribution d’électricité auDoE.
Projets futurs
Ce nationalisme technologique profite
indirectement aux deux entreprises
françaises associées auprojet :
Nexans etAir Liquide. La première
a conçu et fabriqué le câble dans ses
usines européennes. La seconde assure
la fourniture du réfrigérant
(azote liquide). PourNexans, leader
mondial du secteur, il s’agit d’une
diversification vers une activité
d’avenir prometteusemais difficileà
cerner. Le groupe français négocie
avec plusieursproducteurs d’électricité
des projets similaires. En Europe,
Barcelone fait figure de favorite
pour être la première cité du
Vieux Continent à expérimenter à
grande échelle la distribution
d’électricité par des liaisons
supraconductrices.
D’autres projets sont également
en cours dans plusieurs
villes américaines.«LaLIPA
envisage une extension de son
projet qui devrait être opérationnel
en 2010 », explique
Jean-Maxime Saugrain, responsable
des activités supraconductivité
chezNexans. En
principe, cette deuxième
phase new-yorkaise devrait
être deux fois moins coûteuse
: environ 25 millions de
dollars. « Lamajorité du budget
est absorbée par des coûts
de développement qui seront
déjà amortis », indique le spécialiste
français. Selon Nexans,
on peut allonger la longueur
du réseau en ajoutant
des modules de 600 m. «Une
distance de plusieurs kilomètres
ne poserait pas de problème
», estime Jean-Maxime
Saugrain. Cette percée high-tech
donne aussi un coup de jeune à un
secteurquisouffred’uneimagevieillotte.
«L’arrivée de la supraconductivité
va nous permettre d’attirer plus
facilement de jeunes ingénieurs », assure
Michel Rousseau, vice-président
en charge de la recherche dans
le groupe français.
L’équipementmis enplaceàHolbrook
répond aux normes américaines
de distribution de l’électricité
haute tension (138 kV). Les trois
câbles identiques connectés aux
lignes aériennes par des terminaisons
plongent littéralement sous la
terredepuislasous-station.Al’autre
extrémité, un équipement symétrique
se charge de la sortie de terre
etduretour vers leslignesaériennes.
On a du mal à croire qu’un tel
dispositif soit compétitif, tant les
équipementsparaissent volumineux
et complexes. Michel Rousseau y
croit. Il estime que cette solution est
compétitive à chaque fois que «des
contraintes urbaines, économiques
ou environnementales ne permettent
pas de construire de nouvelles infrastructures
souterraines et obligent à
utiliser des emprises existantes ». A
condition que les pouvoirs publics
continuent de financer partiellement
le coût des installations.
ALAIN PEREZ (À LONG ISLAND)
(*)Massachusetts Institute
of Technology.
Un effet connu
depuis cent ans Six cents mètres
de long
Nexans
Alliage. Le phénomène de supraconductivité
est connu depuis le
débutdu XXe siècle.Quand la températured’unconducteurestabaissée
sous une valeur critique, sa
résistance électrique devient nulle.
Surlespremiersmétauxutilisés(Hg
et NbTi), l’effet se produit à une
températureprocheduzéroabsolu
(− 273 °C) et seul l’hélium liquide
permet d’atteindre ce palier. Cette
solution n’estpas exploitable commercialement,
compte tenude son
coût. C’est la découverte de matériaux
supraconducteurs à « haute
température » dans les années
1980 qui a ouvert la voie à ces
nouvelles applications.Une famille
d’alliageàbasedecuivrepossédant
unetempératurecritiqueprochede
celle de l’azote liquide (environ
− 200 °C) a été successivement
mise au point. Ces supraconducteurs
de première génération font
appel àunalliage complexe àbase
de Bismuth (Bi-Sr-Ca-Cu-O) et la
prochaine formulation sera à base
d’Yttrium (Y-Ba-Cu-O). Cette famille
de matériaux a été baptisée
«HTC»(Hightemperatureconductors).
Enterré. Le câble supraconducteurinstalléàHolbrookdansl’îlede
Long Island mesure 600 m. Cette
dimensioncorrespondaudiamètre
maximum d’un touret transportable.
Lors de la mise en froid de
l’installation, le câble rétrécit d’environ1mà
chacunede sesextrémitésetcerétreintestabsorbépardes
structuresmobiles.L’installationse
composedetroisphasessupraconductrices
parallèles et enterrées
(voir photo). A pleine capacité, elle
peut transporter un courant de
574 MVA (environ une demitranchenucléaire).
Uncâble supraconducteur
est capable de transporter
une densité de courant
150 fois plus grande que son équivalent
encuivre.Leconducteur installé
comprend au total 150 km de
matériau supraconducteur de première
génération (base Bismuth),
sous forme de ruban mince
(0,25 mm) enroulé sur l’armature.
L’ensemble est placé dans une enveloppe
étanche comprenant un
circuitd’azoteliquideprovenantde
la centrale cryotechnique.
Les trois câbles supraconducteurs plongent sous terre pour alimenter plus de
300.000 foyers. L’installation a été inaugurée récemment à Long Island près de New York.

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