jeudi 12 mars 2009

Le bruit, un filon en or

http://www.lesechos.fr/digital/ARCHIVES/PDF_20090312_LEC/docslib/articlepdf.htm?article=../article/4839857.pdf?journee=PDF_20090312_LEC

LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION SONORE DOPE L’INNOVATION INDUSTRIELLE

Le bruit, un filon en or

Il n’y a pas si longtemps, utiliser de
simples « bouchons d’oreilles »
pouvait vous faire passer pour un
Martien.Désormais,«onenvend
150 boîtes par semaine », affirme
cette pharmacienne parisienne. IDans des bureaux pourtant feutrés,
on n’est plus surpris de voir ses collèguescoifferd’énormescasquesacoustiques
pours’isolerdesautres.Et− unpeucomme
s’ils tapaient au plafond − les quelque
500.000 riverains des aéroports français
tannent en choeur les compagnies aériennes
afin d’obtenir un répit pour leurs
tympans.
La chasse au bruit est ouverte : «Les
oreilles n’ont pas de paupières », dit-on, et
les nuisances sonores s’imposent comme
nouveaumal du siècle des pays riches.Les
sondagesmontrent qu’elles sont devenues
la bête noire numéro un des Français,
devant lapollutionatmosphériqueetl’insécurité.
La surdité estdevenue la quatrième
maladie professionnelle la plus fréquente,
selon l’Organisation mondiale de la santé,
qui s’alarmed’une « explosion despathologies
liéesaubruit ».Déjà,les effortsengagés
par les pouvoirs publics ont produit des
résultats. Dans les transports − routiers,
ferroviaires et aériens −, l’habitat et les
espaces publics, de vrais progrès ont été
réalisés. Une Caravelle des années 1970
faisait autant de bruit que… 120 Airbus
A320 aujourd’hui.
«On évolue encore dans unmarché surdéterminé
par la réglementation », reconnaît
Antoine Fabre, délégué général du
Synamap, le syndicat professionnel de la
prévention et de la protection.Les normes
européennes et nationales, associées à la
politique antibruit lancée en 1992 sous le
ministère de Ségolène Royal, « ont été un
moteur énorme de la révolution culturelle
qu’on vit dans l’acoustique, dont le rapide
développement a aujourd’hui atteint un
point de non-retour », confirme Eric Gaucher,
directeur général d’Acoustique et
Conseil.Etlasensibilisationdupublica fait
naître de nouvelles exigences. « Peu à peu,
les niveaux de bruit ont baissé, les gens s’y
sont habitués et le degré de confort auditif
exigé par la société est devenu plus élevé »,
explique Erwan Quesseveur, maître de
conférence à l’université de Rennes.
Vecteur de croissance
Ducoup,lalutteantibruitestaussidevenue
une affaire privée. Et l’industrie a bien
compris qu’il y avait làun nouveaumarché
à prendre. « Le niveau croissant d’intolérancepousselesgensàdépenserpluspourse
protéger », constateAliceDebonnet-Lambert,
directrice du CIDB (Centre d’information
et de documentation sur le bruit).
«Et, en ce domaine, on ne peut parler de
règle du pollueur-payeur, mais de polluépayeur
! », précise Pascal Valentin, «monsieur
Bruit » au ministère de l’Ecologie.
L’arme archibasique de la lutte contrele
bruitrestelebouchond’oreille.Longtemps
cantonné danslesusines, il aaujourd’huisa
place dans lesmagasins de sport, de bricolage,
et onle retrouve jusque dans les salles
de concert.Même les teenagers fêtards de
Barcelone commencent à sortir en boîte
équipés de petites « ogives » jaunes…«Le
grandpublic aprisconsciencedes risquesde
lésions irréversibles et joueleconfort,c’est la
nouveauté », explique-t-onchez3M, lespécialiste
de la protection personnelle. «Les
packagings sont plus attractifs et même la
technologie évolue. On lance un nouveau
produitpourlesboîtesdenuit,àlafoismoins
visible, filtrant le son, mais laissant passer la
voix humaine », indique-t-on chez son
concurrent Sperian. Plus sophistiqué : une
application pour l’iPhone, baptisée «WideNoise
», sortie en ce début d’année,
permet de mesurer le niveau sonore environnantetderechercherles
zonesdecalme
dans la ville où on se trouve...
Mais, à l’ère du cocooning, c’est dans
l’habitat que la demande est la plus forte.
«Dès l’amont, les maîtres d’ouvrage associent
désormais les acousticiens », explique
Eric Gaucher. Dans l’ancien, les gens se
prennent en main. «On est parti de quasiment
zéro il y a deux ans. Aujourd’hui, les
chiffres d’affaires de nos rayons d’isolation
phoniqueconnaissentdestauxdecroissance
à deux chiffres. C’est devenu pour nous un
vecteur de croissance», constate Frédérique
Grigolato, chef de groupe bois-bâti
chezCastorama.Parmi les produits phares
du distributeur, la fenêtre de toitVelux qui
divise par deux le son de la pluie et une
exclusivité, la Placophonique, une plaque
de plâtre novatrice qui parvient au même
résultat. «Depuis son lancement, en juillet
dernier, ses ventes connaissent une véritable
explosion, bien qu’elle soit deux fois plus
chère qu’une plaque standard. »
L’électroménager fait des prouesses
Chasser le bruit à tout prix peut toutefois
conduire au contresens. En matière de
fenêtres, on confond ainsi d’autant plus
facilement isolations phonique et thermique
que cette dernière −plus «citoyenne
» − ouvre droit à crédit d’impôt.
C’est l’effet Grenelle de l’environnement.
«L’acoustique est à la remorque des économies
d’énergie, mais, en zone urbaine, le
déclencheur pour changer ses fenêtres, c’est
le bruit ! Or les produits ne sont pas les
mêmes », explique Martine Ollivier, de
Saint-Gobain Glass Solutions. Deuxième
écueil : « Cette “leroy-merlinisation” de
l’antibruit peut déboucher sur des “catas”
acoustiques ! », observe un acousticien.
«En réduisant les bruits extérieurs, on supprime
leur effetde“masquage” vis-à-vis des
bruits intérieurs à l’immeuble…qui se révèlent
au bout du compte encore plus insupportables
! », confirme Jean-Baptiste
Chené, du CSTB (Centre scientifique
et technique du bâtiment). Les distributeurs
le savent etpromettent davantage de
pédagogie.
Les industriels du gros électroménager
font eux aussi des prouesses. Les aspirateurs
ont mis une sourdine et les lavevaisselle
sont équipés d’un témoin lumineux
pour prouver qu’ils sont bien en
marche ! «Ona placé le bruit sur lemême
plan que les économies d’énergie et d’eau »,
explique-t-onauGifam, le syndicatprofessionnel
de la branche.En attendant, d’ici à
deuxans, l’entrée envigueurd’une signalétique
comparable à celle des économies
d’énergiesousl’impulsiondeBruxelles,des
distributeurs comme Darty ou Auchan
avancent déjà les bas niveaux sonores
comme argument de vente.
Grosémetteursdenuisancessonores,les
transports font aussi des efforts. Dans le
cadre d’un programme européen,Renault
TrucksadéjàtestéàBarceloneetàLyonun
camion « silencieux » qui permette de livrer
la nuit. Même effort pour l’habitacle
des véhicules : « L’acoustique est la prestation
qui a le plus progressé sur la dernière
génération de voitures. Tous les modèles
lancés depuis trois ans ont marqué sur ce
point une véritable rupture par rapport aux
générations précédentes », affirme Stéphane
Rigaud, chef de produit chez Peugeot.
Matériaux absorbants, vitres feuilletées,
mais aussi limitation du bruit du
moteur, du train, de la suspension, des
pneumatiques font ainsi de la dernière
308 CC une machine de guerre globale
contre le bruit.
MêmesouciàlaSNCF.Ony abeaucoup
travaillé sur l’aménagement intérieur des
rames, mais « le contrôle du bruit passe
surtout par sa source, relève Franck Poisson,
deladirectioninnovationetrecherche.
On fait de la recherche pour pousser les
constructeurs à aller au-delà des normes
imposées, àdévelopper des trains plus silencieux
qui nous permettraient de payer des
droitsmoins chersàRFF[soumisàla loisur
le bruitde 1999 qui protège les riverains]. »
Les passagers en profitent aussi…
Les chercheurs semobilisent
Onn’imaginepas lenombre de chercheurs
etd’ingénieursquitravaillentàlaréduction
dubruitenFranceetdanslemonde,etleurs
trouvailles,parfois spectaculaires,sontdéjà
− ou seront bientôt −dansnotrequotidien.
Précurseurenlamatière,leCNRSatrèstôt
cru dans une « équation saugrenue » :
bruit + bruit = silence. Carrément magique
: «Grâce àdes capteurs etdes calculateurs,
on émet en direction du bruit gênant
un bruit rigoureusement identique. Les variations
de pression s’annulent et le son
disparaît », explique Alain Roure, du Laboratoire
de mécanique acoustique de
Marseille. Les applications en sont étonnantes
(lire encadré). D’autres projets se
profilent, comme cette aile volante silencieuse
à laquelle travaillent l’université de
Cambridge et le MIT de Boston. En
France, l’appel au peuple est permanent :
chaque année, le Conseil national du bruit
organise en juin les Décibels d’or, récompensant
les solutions innovantes contre
toutes les formes de vacarme. Avis aux
amateurs.
DANIEL BASTIEN
La 12e Journée nationale de l’audition, aujourd’hui, ne fera sans doute guère de bruit, mais elle rejoint une des préoccupations
majeures des Français, pour qui les nuisances sonores sont de plus en plus insupportables. L’apparition d’exigences nouvelles
en matière de confort auditif favorise ainsi l’émergence de marchés dans lesquels s’engouffrent les industriels.


Son contre son : l’arme du « contrôle actif »

Bulle de silence. Contrer un son par un
son identique : c’est ce système de
« contrôleactif »quiapermisàunanciendu
Laboratoire de mécanique acoustique de
Marseille, Christian Carme, président de
Techno-First, de devenir le pionnier des
casques antibruit ou de la production de
« bulles de silence » autour des appui-tête
des siègesdes avionsATR42 ou 72. Répartis
dans les carlingues des appareils à hélices
type « Dash 8 » de Bombardier, des
haut-parleursparviennentmêmeàinsonoriser
lacabineentière.Mêmechose pour le
cockpit des hélicoptères, l’habitacle des
bulldozersCaterpillarouceluidelaLegend,
la berline haut de gamme deHonda. Plus
fort, les constructeurs, tels Snecma, cherchent
à intégrer ce système dans les réacteurs
ou les turbopropulseurs afin de neutraliser
lebruit à sa source.D’ici àquelques
années, le contrôleactifdevraitéquiper les
pots d’échappement des automobiles et
entrera même dans les maisons : «Notre
défi, c’estde parvenir à l’effetdouble vitrage
toutes fenêtres ouvertes ! », explique Christian
Carme.Une sortede «moustiquaire à
bruit »…«Onconçoitégalementdesparois
intelligentes qui absorbent le bruit ». Bien
utile dans les piscines ou les cantines !
La politique antibruit des pouvoirs publics a suscité une prise de conscience chez les consommateurs du niveau de bruit ambiant et de la gêne, voire du danger, qu’il peut représenter.


idé / Photo : GettyImages
170 dB
140 dB
130 dB
120 dB
110 dB
105 dB
100 dB
90 dB
85 dB
80 dB
75 dB
65 dB
60 dB
55 dB
50 dB
40 dB
30 dB
10 dB
0 dB
coup de fusil
avion au décollage
marteau piqueur
concert de rock
passage de train
discothèque
moto
tondeuse à gazon
aboiement, cantine scolaire
automobile
aspirateur
téléviseur
conversation normale
lave-linge
pluie
réfrigérateur
conversation à voix basse
vent dans les arbres
Bruits Bruyant Nocif Dangereux
courants
Très Calme
calme
L’échelle des sons


Qu'est-ce qu'un bruit ?

Le bruit est un son ou un mélange de sons matérialisé par des ondes qui se propagent sous
la forme d'une variation de la pression de l'air. Le niveau de cette pression exercée sur l'oreille
est exprimé en décibels (dB) et évolue selon une échelle logarithmique : 3 décibels en plus
correspondent à un doublement du niveau sonore, 3 décibels en moins à sa réduction de moitié.
Seuil
de douleur
Risque
de surdité
Seuil
d’audibilité

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